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Dans les collines automnales de Lombardie, où les feuilles rousses dansent au rythme des pédales, Tadej Pogačar a une fois de plus réécrit l’histoire du cyclisme. Samedi 11 octobre, le Slovène de 26 ans a triomphé pour la cinquième fois consécutive au Giro di Lombardia, la classique des « feuilles mortes« , égalant ainsi le record légendaire de Fausto Coppi. Cette victoire solo, impitoyable et solitaire, n’est pas seulement un exploit sportif : elle consacre Pogačar comme l’héritier spirituel d' »Il Campionissimo », tout en bouclant une saison stratosphérique qui le place au panthéon des géants.
Le parcours 2025, un calvaire de 241 kilomètres de Côme à Bergame, cumule plus de 4 400 mètres de dénivelé. Des ascensions mythiques comme la Roncola, la Berbenno, le Passo della Crocetta et, surtout, le décisif Passo di Ganda, ont servi de toile de fond à cette édition impitoyable. Dès le départ, l’élite mondiale s’aligne : le champion du monde Pogačar, revêtu de son maillot arc-en-ciel, face à Remco Evenepoel, Tom Pidcock, Primož Roglič et une armada d’espoirs comme Isaac del Toro. Mais personne n’ignore l’évidence : le Slovène, quadruple tenant du titre, chasse l’immortalité.
La course s’emballe sur les pentes raides du Passo di Ganda, à 36 kilomètres de l’arrivée. À mi-parcours de cette montée décisive, Pogačar accélère comme un ressort. Son attaque est un uppercut : fulgurante, calculée, dévastatrice. Personne ne réagit. Evenepoel, son dauphin éternel, tente de suivre mais craque. Pidcock et Roglič, englués dans le groupe, assistent impuissants à l’envol du leader. Pogačar, seul au monde, avale les lacets avec une aisance surnaturelle. Sur les 36 derniers kilomètres, il creuse un écart colossal, terminant en 5 heures 45 minutes 53 secondes. À l’arrivée sur les pavés du Colle Aperto, il franchit la ligne en mode showman : poings levés, cri primal vers la caméra moto, un sourire carnassier aux lèvres. Derrière, Evenepoel sauve une troisième deuxième place consécutive à 1 minute 48 secondes, talonné par l’Australien Michael Storer pour la troisième place.
Ce triomphe n’est pas anodin. En égalant les cinq victoires de Coppi (1946-1954), Pogačar entre dans un club ultra-select. L’Italien, icône des années 1940-1950, avait conquis la Lombardia dans une ère de guerres et de reconstructions, avec des attaques légendaires sur les mêmes routes. Mais les chemins divergent : Coppi, polyvalent grimpeur-sprinteur, l’a emporté sur cinq ans épars, face à des rivaux comme Gino Bartali. Pogačar, lui, signe une série inédite de cinq consécutives – une première absolue dans l’histoire des Monuments. À 26 ans, il porte son total à dix Monuments, talonnant déjà Eddy Merckx (19). Et cette année 2025 ? Un triplé monumental (Liedja, Worlds, Lombardia), plus le Tour de France et les Championnats d’Europe. Seuls Merckx en 1971 avait réalisé un tel quadruplé.
« Égaler Coppi, c’est un rêve de gosse« , confie Pogačar à l’arrivée, dédicaçant sa victoire à son coéquipier Rafał Majka, récemment opéré. « Ces routes sont magiques, mais aujourd’hui, c’était pour l’histoire. » Evenepoel, amer mais fair-play, admet : « Il est dans une autre dimension. J’ai tout donné, mais le même gars était meilleur. » Storer, premier podium en Monument, savoure : « C’est surréaliste de finir sur ce podium.«
Au-delà des chiffres, Pogačar redéfinit le cyclisme moderne. Ses 15 dernières victoires en solitaire rappellent les exploits solitaires de Merckx ou Coppi, dans un sport devenu tactique et éolien. UAE Team Emirates, avec 92 succès en 2025, surfe sur cette vague. Mais pour les rivaux, la question persiste : qui arrêtera le Slovène ? En attendant 2026, cette Lombardia scelle une saison phénoménale. Pogačar n’est plus un prodige ; il est une légende en marche.